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La Chartreuse De Parme

por Unknown

CapĂ­tulo 1

CHAPITRE II

...Alors que Vesper vint embrunir nos yeux,

Tout épris d’avenir, je contemple les cieux,

En qui Dieu nous escrit, par notes non obscures,

Les sorts et les destins de toutes créatures.

Car lui, du fond des cieux regardant un humain,

Parfois mû de pitié, lui montre le chemin;

Par les astres du ciel qui sont ses caractères,

Les choses nous prédit et bonnes et contraires;

Mais les hommes, chargés de terre et de trépas,

Méprisent tel écrit, et ne le lisent pas.

Ronsard

Le marquis professait une haine vigoureuse pour les lumières: «Ce

sont les idées, disait-il, qui ont perdu l’Italie.» Il ne savait trop

comment concilier cette sainte horreur de l’instruction, avec le désir

de voir son fils Fabrice perfectionner l’éducation si brillamment

commencée chez les jésuites. Pour courir le moins de risques possible,

il chargea le bon abbé Blanès, curé de Grianta, de faire continuer à

Fabrice ses études en latin. Il eût fallu que le curé lui-même sût

cette langue; or elle était l’objet de ses mépris; ses connaissances en

ce genre se bornaient à réciter, par cœur, les prières de son missel,

dont il pouvait rendre à peu près le sens à ses ouailles. Mais ce curé

n’en était pas moins fort respecté et même redouté dans le canton; il

avait toujours dit que ce n’était point en treize semaines ni même en

treize mois, que l’on verrait s’accomplir la célèbre prophétie de saint

Giovita, le patron de Brescia. Il ajoutait, quand il parlait Ă  des

amis sûrs, que ce nombre treize devait être interprété d’une façon qui

étonnerait bien du monde, s’il était permis de tout dire (1813).

Le fait est que l’abbé Blanès, personnage d’une honnêteté et d’une vertu

primitives, et de plus homme d’esprit, passait toutes les nuits au haut

de son clocher; il était fou d’astrologie. Après avoir usé ses journées

à calculer des conjonctions et des positions d’étoiles, il employait la

meilleure part de ses nuits Ă  les suivre dans le ciel. Par suite de sa

pauvreté, il n’avait d’autre instrument qu’une longue lunette à tuyau

de carton. On peut juger du mépris qu’avait pour l’étude des langues un

homme qui passait sa vie à découvrir l’époque précise de la chute des

empires et des révolutions qui changent la face du monde. «Que sais-je

de plus sur un cheval, disait-il à Fabrice, depuis qu’on m’a appris

qu’en latin il s’appelle equus?»

Les paysans redoutaient l’abbé Blanès comme un grand magicien: pour lui,

à l’aide de la peur qu’inspiraient ses stations dans le clocher, il les

empêchait de voler. Ses confrères les curés des environs, fort jaloux de

son influence, le détestaient; le marquis del Dongo le méprisait tout

simplement parce qu’il raisonnait trop pour un homme de si bas étage.

Fabrice l’adorait: pour lui plaire il passait quelquefois des soirées

entières à faire des additions ou des multiplications énormes. Puis

il montait au clocher: c’était une grande faveur et que l’abbé Blanès

n’avait jamais accordée à personne; mais il aimait cet enfant pour sa

naïveté.

--Si tu ne deviens pas hypocrite, lui disait-il, peut-ĂŞtre tu seras un

homme.

Deux ou trois fois par an, Fabrice, intrépide et passionné dans ses

plaisirs, était sur le point de se noyer dans le lac. Il était le chef

de toutes les grandes expéditions des petits paysans de Grianta et de

la Cadenabia. Ces enfants s’étaient procuré quelques petites clefs, et

quand la nuit était bien noire, ils essayaient d’ouvrir les cadenas

de ces chaînes qui attachent les bateaux à quelque grosse pierre ou

Ă  quelque arbre voisin du rivage. Il faut savoir que sur le lac de

Côme l’industrie des pêcheurs place des lignes dormantes à une grande

distance des bords. L’extrémité supérieure de la corde est attachée

à une planchette doublée de liège, et une branche de coudrier très

flexible, fichée sur cette planchette, soutient une petite sonnette qui

tinte lorsque le poisson, pris Ă  la ligne, donne des secousses Ă  la

corde.

Le grand objet de ces expéditions nocturnes, que Fabrice commandait en

chef, était d’aller visiter les lignes dormantes, avant que les pêcheurs

eussent entendu l’avertissement donné par les petites clochettes.

On choisissait les temps d’orage; et, pour ces parties hasardeuses,

on s’embarquait le matin, une heure avant l’aube. En montant dans

la barque, ces enfants croyaient se précipiter dans les plus grands

dangers, c’était là le beau côté de leur action; et, suivant l’exemple

de leurs pères, ils récitaient dévotement un Ave Maria. Or, il arrivait

souvent qu’au moment du départ, et à l’instant qui suivait l’Ave

Maria, Fabrice était frappé d’un présage. C’était là le fruit qu’il

avait retiré des études astrologiques de son ami l’abbé Blanès, aux

prédictions duquel il ne croyait point. Suivant sa jeune imagination,

ce présage lui annonçait avec certitude le bon ou le mauvais succès;

et comme il avait plus de résolution qu’aucun de ses camarades, peu à

peu toute la troupe prit tellement l’habitude des présages, que si, au

moment de s’embarquer, on apercevait sur la côte un prêtre, ou si l’on

voyait un corbeau s’envoler à main gauche, on se hâtait de remettre le

cadenas à la chaîne du bateau, et chacun allait se recoucher. Ainsi

l’abbé Blanès n’avait pas communiqué sa science assez difficile à

Fabrice; mais à son insu, il lui avait inoculé une confiance illimitée

dans les signes qui peuvent prédire l’avenir.

Le marquis sentait qu’un accident arrivé à sa correspondance chiffrée

pouvait le mettre à la merci de sa sœur; aussi tous les ans, à l’époque

de la Sainte-Angela, fĂŞte de la comtesse Pietranera, Fabrice obtenait la

permission d’aller passer huit jours à Milan. Il vivait toute l’année

dans l’espérance ou le regret de ces huit jours. En cette grande

occasion, pour accomplir ce voyage politique, le marquis remettait Ă 

son fils quatre écus, et, suivant l’usage, ne donnait rien à sa femme,

qui le menait. Mais un des cuisiniers, six laquais et un cocher avec

deux chevaux, partaient pour CĂ´me, la veille du voyage, et chaque jour,

à Milan, la marquise trouvait une voiture à ses ordres, et un dîner de

douze couverts.

Le genre de vie boudeur que menait le marquis del Dongo était assurément

fort peu divertissant; mais il avait cet avantage qu’il enrichissait

à jamais les familles qui avaient la bonté de s’y livrer. Le marquis,

qui avait plus de deux cent mille livres de rente, n’en dépensait pas

le quart; il vivait d’espérances. Pendant les treize années de 1800 à

1813, il crut constamment et fermement que Napoléon serait renversé

avant six mois. Qu’on juge de son ravissement quand, au commencement

de 1813, il apprit les désastres de la Bérésina! La prise de Paris et

la chute de Napoléon faillirent lui faire perdre la tête; il se permit

alors les propos les plus outrageants envers sa femme et sa sœur. Enfin,

après quatorze années d’attente, il eut cette joie inexprimable de

voir les troupes autrichiennes rentrer dans Milan. D’après les ordres

venus de Vienne, le général autrichien reçut le marquis del Dongo avec

une considération voisine du respect; on se hâta de lui offrir une

des premières places dans le gouvernement, et il l’accepta comme le

paiement d’une dette. Son fils aîné eut une lieutenance dans l’un des

plus beaux régiments de la monarchie; mais le second ne voulut jamais

accepter une place de cadet qui lui était offerte. Ce triomphe, dont

le marquis jouissait avec une insolence rare, ne dura que quelques

mois, et fut suivi d’un revers humiliant. Jamais il n’avait eu le

talent des affaires, et quatorze années passées à la campagne, entre

ses valets, son notaire et son médecin, jointes à la mauvaise humeur

de la vieillesse qui était survenue, en avaient fait un homme tout

à fait incapable. Or il n’est pas possible, en pays autrichien, de

conserver une place importante sans avoir le genre de talent que réclame

l’administration lente et compliquée, mais fort raisonnable, de cette

vieille monarchie. Les bévues du marquis del Dongo scandalisaient

les employés et même arrêtaient la marche des affaires. Ses propos

ultra-monarchiques irritaient les populations qu’on voulait plonger

dans le sommeil et l’incurie. Un beau jour, il apprit que Sa Majesté

avait daigné accepter gracieusement la démission qu’il donnait de son

emploi dans l’administration, et en même temps lui conférait la place de

second grand majordome major du royaume lombardo-vénitien. Le marquis

fut indigné de l’injustice atroce dont il était victime; il fit imprimer

une lettre à un ami, lui qui exécrait tellement la liberté de la presse.

Enfin il écrivit à l’Empereur que ses ministres le trahissaient, et

n’étaient que des jacobins. Ces choses faites, il revint tristement

à son château de Grianta. Il eut une consolation. Après la chute de

Napoléon, certains personnages puissants à Milan firent assommer dans

les rues le comte Prina, ancien ministre du roi d’Italie, et homme du

premier mérite. Le comte Pietranera exposa sa vie pour sauver celle du

ministre, qui fut tué à coups de parapluie, et dont le supplice dura

cinq heures. Un prêtre, confesseur du marquis del Dongo, eût pu sauver

Prina en lui ouvrant la grille de l’église de San Giovanni, devant

laquelle on traînait le malheureux ministre, qui même un instant fut

abandonné dans le ruisseau, au milieu de la rue; mais il refusa d’ouvrir

sa grille avec dérision, et, six mois après, le marquis eut le bonheur

de lui faire obtenir un bel avancement.

Il exécrait le comte Pietranera, son beau-frère, lequel, n’ayant pas

cinquante louis de rente, osait être assez content, s’avisait de se

montrer fidèle à ce qu’il avait aimé toute sa vie, et avait l’insolence

de prĂ´ner cet esprit de justice sans acceptation de personnes, que le

marquis appelait un jacobinisme infâme. Le comte avait refusé de prendre

du service en Autriche, on fit valoir ce refus, et, quelques mois après

la mort de Prina, les mêmes personnages qui avaient payé les assassins

obtinrent que le général Pietranera serait jeté en prison. Sur quoi la

comtesse, sa femme, prit un passeport et demanda des chevaux de poste

pour aller à Vienne dire la vérité à l’Empereur. Les assassins de Prina

eurent peur, et l’un d’eux, cousin de Mme Pietranera, vint lui apporter

à minuit, une heure avant son départ pour Vienne, l’ordre de mettre

en liberté son mari. Le lendemain, le général autrichien fit appeler

le comte Pietranera, le reçut avec toute la distinction possible, et

l’assura que sa pension de retraite ne tarderait pas à être liquidée sur

le pied le plus avantageux. Le brave général Bubna, homme d’esprit et de

cœur, avait l’air tout honteux de l’assassinat de Prina et de la prison

du comte.

Après cette bourrasque, conjurée par le caractère ferme de la comtesse,

les deux époux vécurent, tant bien que mal, avec la pension de retraite,

qui, grâce à la recommandation du général Bubna, ne se fit pas attendre.

Par bonheur, il se trouva que, depuis cinq ou six ans, la comtesse avait

beaucoup d’amitié pour un jeune homme fort riche, lequel était aussi

ami intime du comte, et ne manquait pas de mettre Ă  leur disposition le

plus bel attelage de chevaux anglais qui fût alors à Milan, sa loge au

théâtre de la Scala, et son château à la campagne. Mais le comte avait

la conscience de sa bravoure, son âme était généreuse, il s’emportait

facilement, et alors se permettait d’étranges propos. Un jour qu’il

était à la chasse avec des jeunes gens, l’un d’eux, qui avait servi

sous d’autres drapeaux que lui, se mit à faire des plaisanteries sur la

bravoure des soldats de la république cisalpine; le comte lui donna un

soufflet, l’on se battit aussitôt, et le comte, qui était seul de son

bord, au milieu de tous ces jeunes gens, fut tué. On parla beaucoup de

cette espèce de duel, et les personnes qui s’y étaient trouvées prirent

le parti d’aller voyager en Suisse.

Ce courage ridicule qu’on appelle résignation, le courage d’un sot qui

se laisse prendre sans mot dire n’était point à l’usage de la comtesse.

Furieuse de la mort de son mari, elle aurait voulu que Limercati, ce

jeune homme riche, son ami intime, prît aussi la fantaisie de voyager en

Suisse, et de donner un coup de carabine ou un soufflet au meurtrier du

comte Pietranera.

Limercati trouva ce projet d’un ridicule achevé et la comtesse s’aperçut

que chez elle le mépris avait tué l’amour. Elle redoubla d’attention

pour Limercati; elle voulait réveiller son amour, et ensuite le

planter là et le mettre au désespoir. Pour rendre ce plan de vengeance

intelligible en France, je dirai qu’à Milan, pays fort éloigné du

nôtre, on est encore au désespoir par amour. La comtesse, qui, dans

ses habits de deuil, éclipsait de bien loin toutes ses rivales, fit

des coquetteries aux jeunes gens qui tenaient le haut du pavé, et l’un

d’eux, le comte N..., qui, de tout temps, avait dit qu’il trouvait le

mérite de Limercati un peu lourd, un peu empesé pour une femme d’autant

d’esprit, devint amoureux fou de la comtesse. Elle écrivit à Limercati:

Voulez-vous agir une fois en homme d’esprit?

Figurez-vous que vous ne m’avez jamais connue.

Je suis, avec un peu de mépris peut-être,

votre très humble servante.

G<small>INA</small> P<small>IETRANERA</small>.

A la lecture de ce billet, Limercati partit pour un de ses châteaux;

son amour s’exalta, il devint fou, et parla de se brûler la cervelle,

chose inusitée dans les pays à enfer. Dès le lendemain de son arrivée

à la campagne, il avait écrit à la comtesse pour lui offrir sa main et

ses deux cent mille livres de rente. Elle lui renvoya sa lettre non

décachetée par le groom du comte N... Sur quoi Limercati a passé trois

ans dans ses terres, revenant tous les deux mois Ă  Milan, mais sans

avoir jamais le courage d’y rester, et ennuyant tous ses amis de son

amour passionné pour la comtesse, et du récit circonstancié des bontés

que jadis elle avait pour lui. Dans les commencements, il ajoutait

qu’avec le comte N... elle se perdait, et qu’une telle liaison la

déshonorait.

Le fait est que la comtesse n’avait aucune sorte d’amour pour le comte

N..., et c’est ce qu’elle lui déclara quand elle fut tout à fait sûre du

désespoir de Limercati. Le comte, qui avait de l’usage, la pria de ne

point divulguer la triste vérité dont elle lui faisait confidence:

--Si vous avez l’extrême indulgence, ajouta-t-il, de continuer à me

recevoir avec toutes les distinctions extérieures accordées à l’amant

régnant, je trouverai peut-être une place convenable.

Après cette déclaration héroïque la comtesse ne voulut plus des chevaux

ni de la loge du comte N... Mais depuis quinze ans elle était accoutumée

à la vie la plus élégante: elle eut à résoudre ce problème difficile ou

pour mieux dire impossible: vivre Ă  Milan avec une pension de quinze

cents francs. Elle quitta son palais, loua deux chambres à un cinquième

étage, renvoya tous ses gens et jusqu’à sa femme de chambre remplacée

par une pauvre vieille faisant des ménages. Ce sacrifice était dans le

fait moins héroïque et moins pénible qu’il ne nous semble; à Milan la

pauvreté n’est pas un ridicule, et partant ne se montre pas aux âmes

effrayées comme le pire des maux. Après quelques mois de cette pauvreté

noble, assiégée par les lettres continuelles de Limercati, et même du

comte N... qui lui aussi voulait épouser, il arriva que le marquis del

Dongo, ordinairement d’une avarice exécrable, vint à penser que ses

ennemis pourraient bien triompher de la misère de sa sœur. Quoi! une del

Dongo être réduite à vivre avec la pension que la cour de Vienne, dont

il avait tant à se plaindre, accorde aux veuves de ses généraux!

Il lui écrivit qu’un appartement et un traitement dignes de sa sœur

l’attendaient au château de Grianta. L’âme mobile de la comtesse

embrassa avec enthousiasme l’idée de ce nouveau genre de vie; il y avait

vingt ans qu’elle n’avait pas habité ce château vénérable s’élevant

majestueusement au milieu des vieux châtaigniers plantés du temps des

Sforce. «Là, se disait-elle, je trouverai le repos, et, à mon âge,

n’est-ce pas le bonheur? (Comme elle avait trente et un ans elle se

croyait arrivée au moment de la retraite.) Sur ce lac sublime où je suis

née, m’attend enfin une vie heureuse et paisible.»

Je ne sais si elle se trompait, mais ce qu’il y a de sûr c’est que cette

âme passionnée, qui venait de refuser si lestement l’offre de deux

immenses fortunes, apporta le bonheur au château de Grianta. Ses deux

nièces étaient folles de joie.

--Tu m’as rendu les beaux jours de la jeunesse, lui disait la marquise

en l’embrassant; la veille de ton arrivée, j’avais cent ans. La comtesse

se mit Ă  revoir, avec Fabrice, tous ces lieux enchanteurs voisins de

Grianta, et si célébrés par les voyageurs: la villa Melzi de l’autre

côté du lac, vis-à-vis le château, et qui lui sert de point de vue,

au-dessus le bois sacré des Sfondrata, et le hardi promontoire qui

sépare les deux branches du lac, celle de Côme, si voluptueuse, et celle

qui court vers Lecco, pleine de sévérité: aspects sublimes et gracieux,

que le site le plus renommé du monde, la baie de Naples, égale, mais

ne surpasse point. C’était avec ravissement que la comtesse retrouvait

les souvenirs de sa première jeunesse et les comparait à ses sensations

actuelles. «Le lac de Côme, se disait-elle, n’est point environné, comme

le lac de Genève, de grandes pièces de terre bien closes et cultivées

selon les meilleures méthodes, choses qui rappellent l’argent et la

spéculation. Ici de tous côtés je vois des collines d’inégales hauteurs

couvertes de bouquets d’arbres plantés par le hasard, et que la main

de l’homme n’a point encore gâtés et forcés à rendre du revenu. Au

milieu de ces collines aux formes admirables et se précipitant vers le

lac par des pentes si singulières, je puis garder toutes les illusions

des descriptions du Tasse et de l’Arioste. Tout est noble et tendre,

tout parle d’amour, rien ne rappelle les laideurs de la civilisation.

Les villages situés à mi-côte sont cachés par de grands arbres, et

au-dessus des sommets des arbres s’élève l’architecture charmante de

leurs jolis clochers. Si quelque petit champ de cinquante pas de large

vient interrompre de temps à autre les bouquets de châtaigniers et de

cerisiers sauvages, l’œil satisfait y voit croître des plantes plus

vigoureuses et plus heureuses là qu’ailleurs. Par-delà ces collines,

dont le faîte offre des ermitages qu’on voudrait tous habiter, l’œil

étonné aperçoit les pics des Alpes, toujours couverts de neige, et leur

austérité sévère lui rappelle des malheurs de la vie ce qu’il en faut

pour accroître la volupté présente. L’imagination est touchée par le son

lointain de la cloche de quelque petit village caché sous les arbres:

ces sons portés sur les eaux qui les adoucissent prennent une teinte de

douce mélancolie et de résignation, et semblent dire à l’homme: La vie

s’enfuit, ne te montre donc point si difficile envers le bonheur qui se

présente, hâte-toi de jouir.» Le langage de ces lieux ravissants, et qui

n’ont point de pareils au monde, rendit à la comtesse son cœur de seize

ans. Elle ne concevait pas comment elle avait pu passer tant d’années

sans revoir le lac. «Est-ce donc au commencement de la vieillesse,

se disait-elle, que le bonheur se serait réfugié?» Elle acheta une

barque que Fabrice, la marquise et elle ornèrent de leurs mains, car

on manquait d’argent pour tout, au milieu de l’état de maison le plus

splendide; depuis sa disgrâce le marquis del Dongo avait redoublé de

faste aristocratique. Par exemple, pour gagner dix pas de terrain sur le

lac, près de la fameuse allée de platanes, à côté de la Cadenabia, il

faisait construire une digue dont le devis allait Ă  quatre-vingt mille

francs. A l’extrémité de la digue on voyait s’élever, sur les dessins

du fameux marquis Cagnola, une chapelle bâtie tout entière en blocs de

granit énormes, et, dans la chapelle, Marchesi, le sculpteur à la mode

de Milan, lui bâtissait un tombeau sur lequel des bas-reliefs nombreux

devaient représenter les belles actions de ses ancêtres.

Le frère aîné de Fabrice, le marchesino Ascagne, voulut se mettre des

promenades de ces dames; mais sa tante jetait de l’eau sur ses cheveux

poudrés, et avait tous les jours quelque nouvelle niche à lancer à sa

gravité. Enfin il délivra de l’aspect de sa grosse figure blafarde la

joyeuse troupe qui n’osait rire en sa présence. On pensait qu’il était

l’espion du marquis son père, et il fallait ménager ce despote sévère et

toujours furieux depuis sa démission forcée.

Ascagne jura de se venger de Fabrice.

Il y eut une tempête où l’on courut des dangers; quoiqu’on eût

infiniment peu d’argent, on paya généreusement les deux bateliers

pour qu’ils ne dissent rien au marquis, qui déjà témoignait beaucoup

d’humeur de ce qu’on emmenait ses deux filles. On rencontra une seconde

tempête; elles sont terribles et imprévues sur ce beau lac: des rafales

de vent sortent à l’improviste de deux gorges de montagnes placées

dans des directions opposées et luttent sur les eaux. La comtesse

voulut débarquer au milieu de l’ouragan et des coups de tonnerre; elle

prétendait que, placée sur un rocher isolé au milieu du lac, et grand

comme une petite chambre, elle aurait un spectacle singulier; elle se

verrait assiégée de toutes parts par des vagues furieuses, mais, en

sautant de la barque, elle tomba dans l’eau. Fabrice se jeta après elle

pour la sauver, et tous deux furent entraînés assez loin. Sans doute

il n’est pas beau de se noyer, mais l’ennui, tout étonné, était banni

du château féodal. La comtesse s’était passionnée pour le caractère

primitif et pour l’astrologie de l’abbé Blanès. Le peu d’argent qui lui

restait après l’acquisition de la barque avait été employé à acheter un

petit télescope de rencontre, et presque tous les soirs, avec ses nièces

et Fabrice, elle allait s’établir sur la plate-forme d’une des tours

gothiques du château. Fabrice était le savant de la troupe, et l’on

passait lĂ  plusieurs heures fort gaiement, loin des espions.

Il faut avouer qu’il y avait des journées où la comtesse n’adressait la

parole à personne; on la voyait se promener sous les hauts châtaigniers,

plongée dans de sombres rêveries; elle avait trop d’esprit pour ne pas

sentir parfois l’ennui qu’il y a à ne pas échanger ses idées. Mais le

lendemain elle riait comme la veille: c’étaient les doléances de la

marquise, sa belle-sœur, qui produisaient ces impressions sombres sur

cette âme naturellement si agissante.

--Passerons-nous donc ce qui nous reste de jeunesse dans ce triste

château! s’écriait la marquise.

Avant l’arrivée de la comtesse, elle n’avait pas même le courage d’avoir

de ces regrets.

L’on vécut ainsi pendant l’hiver de 1814 à 1815. Deux fois, malgré sa

pauvreté, la comtesse vint passer quelques jours à Milan; il s’agissait

de voir un ballet sublime de Vigano, donné au théâtre de la Scala, et le

marquis ne défendait point à sa femme d’accompagner sa belle-sœur. On

allait toucher les quartiers de la petite pension, et c’était la pauvre

veuve du général cisalpin qui prêtait quelques sequins à la richissime

marquise del Dongo. Ces parties étaient charmantes; on invitait à dîner

de vieux amis, et l’on se consolait en riant de tout, comme de vrais

enfants. Cette gaieté italienne, pleine de brio et d’imprévu, faisait

oublier la tristesse sombre que les regards du marquis et de son fils

aîné répandaient autour d’eux à Grianta. Fabrice, à peine âgé de seize

ans, représentait fort bien le chef de la maison.

Le 7 mars 1815, les dames étaient de retour, depuis l’avant-veille, d’un

charmant petit voyage de Milan; elles se promenaient dans la belle allée

de platanes récemment prolongée sur l’extrême bord du lac. Une barque

parut, venant du côté de Côme, et fit des signes singuliers. Un agent

du marquis sauta sur la digue: Napoléon venait de débarquer au golfe

de Juan. L’Europe eut la bonhomie d’être surprise de cet événement,

qui ne surprit point le marquis del Dongo; il écrivit à son souverain

une lettre pleine d’effusion de cœur; il lui offrait ses talents et

plusieurs millions, et lui répétait que ses ministres étaient des

jacobins d’accord avec les meneurs de Paris.

Le 8 mars, Ă  six heures du matin, le marquis, revĂŞtu de ses insignes,

se faisait dicter, par son fils aîné, le brouillon d’une troisième

dépêche politique; il s’occupait avec gravité à la transcrire de sa

belle écriture soignée, sur du papier portant en filigrane l’effigie du

souverain. Au mĂŞme instant, Fabrice se faisait annoncer chez la comtesse

Pietranera.

--Je pars, lui dit-il, je vais rejoindre l’Empereur, qui est aussi roi

d’Italie; il avait tant d’amitié pour ton mari! Je passe par la Suisse.

Cette nuit, à Menagio, mon ami Vasi, le marchand de baromètres, m’a

donné son passeport; maintenant donne-moi quelques napoléons, car je

n’en ai que deux à moi; mais s’il le faut, j’irai à pied.

La comtesse pleurait de joie et d’angoisse.

--Grand Dieu! pourquoi faut-il que cette idée te soit venue!

s’écriait-elle en saisissant les mains de Fabrice.

Elle se leva et alla prendre dans l’armoire au linge, où elle était

soigneusement cachée, une petite bourse ornée de perles; c’était tout ce

qu’elle possédait au monde.

--Prends, dit-elle Ă  Fabrice; mais au nom de Dieu! ne te fais pas tuer.

Que restera-t-il à ta malheureuse mère et à moi, si tu nous manques?

Quant au succès de Napoléon, il est impossible, mon pauvre ami; nos

messieurs sauront bien le faire périr. N’as-tu pas entendu, il y a huit

jours, à Milan, l’histoire des vingt-trois projets d’assassinat tous

si bien combinés et auxquels il n’échappa que par miracle? et alors

il était tout-puissant. Et tu as vu que ce n’est pas la volonté de le

perdre qui manque à nos ennemis; la France n’était plus rien depuis son

départ.

C’était avec l’accent de l’émotion la plus vive que la comtesse parlait

à Fabrice des futures destinées de Napoléon.

--En te permettant d’aller le rejoindre, je lui sacrifie ce que j’ai de

plus cher au monde, disait-elle. Les yeux de Fabrice se mouillèrent, il

répandit des larmes en embrassant la comtesse, mais sa résolution de

partir ne fut pas un instant ébranlée. Il expliquait avec effusion à

cette amie si chère toutes les raisons qui le déterminaient, et que nous

prenons la liberté de trouver bien plaisantes.

--Hier soir, il était six heures moins sept minutes, nous nous

promenions, comme tu sais, sur le bord du lac dans l’allée de platanes,

au-dessous de la Casa Sommariva, et nous marchions vers le sud. LĂ ,

pour la première fois, j’ai remarqué au loin le bateau qui venait de

Côme, porteur d’une si grande nouvelle. Comme je regardais ce bateau

sans songer à l’Empereur, et seulement enviant le sort de ceux qui

peuvent voyager, tout à coup j’ai été saisi d’une émotion profonde. Le

bateau a pris terre, l’agent a parlé bas à mon père, qui a changé de

couleur, et nous a pris Ă  part pour nous annoncer la terrible nouvelle.

Je me tournai vers le lac sans autre but que de cacher les larmes de

joie dont mes yeux étaient inondés. Tout à coup, à une hauteur immense

et à ma droite j’ai vu un aigle, l’oiseau de Napoléon; il volait

majestueusement, se dirigeant vers la Suisse, et par conséquent vers

Paris. Et moi aussi, me suis-je dit à l’instant, je traverserai la

Suisse avec la rapidité de l’aigle, et j’irai offrir à ce grand homme

bien peu de chose, mais enfin tout ce que je puis offrir, le secours de

mon faible bras. Il voulut nous donner une patrie et il aima mon oncle.

A l’instant, quand je voyais encore l’aigle, par un effet singulier

mes larmes se sont taries; et la preuve que cette idée vient d’en

haut, c’est qu’au même moment, sans discuter, j’ai pris ma résolution

et j’ai vu les moyens d’exécuter ce voyage. En un clin d’œil toutes

les tristesses qui, comme tu sais, empoisonnent ma vie, surtout les

dimanches, ont été comme enlevées par un souffle divin. J’ai vu cette

grande image de l’Italie se relever de la fange où les Allemands la

retiennent plongée 2; elle étendait ses bras meurtris et encore à demi

chargés de chaînes vers son roi et son libérateur. Et moi, me suis-je

dit, fils encore inconnu de cette mère malheureuse, je partirai, j’irai

mourir ou vaincre avec cet homme marqué par le destin, et qui voulut

nous laver du mépris que nous jettent même les plus esclaves et les plus

vils parmi les habitants de l’Europe.

«Tu sais, ajouta-t-il à voix basse en se rapprochant de la comtesse,

et fixant sur elle ses yeux d’où jaillissaient des flammes, tu sais ce

jeune marronnier que ma mère, l’hiver de ma naissance, planta elle-même

au bord de la grande fontaine dans notre forêt, à deux lieues d’ici:

avant de rien faire, j’ai voulu l’aller visiter. Le printemps n’est pas

trop avancé, me disais-je: eh bien! si mon arbre a des feuilles, ce sera

un signe pour moi. Moi aussi je dois sortir de l’état de torpeur où je

languis dans ce triste et froid château. Ne trouves-tu pas que ces vieux

murs noircis, symboles maintenant et autrefois moyens du despotisme,

sont une véritable image du triste hiver? ils sont pour moi ce que

l’hiver est pour mon arbre.

«Le croirais-tu, Gina? hier soir à sept heures et demie j’arrivais à mon

marronnier; il avait des feuilles, de jolies petites feuilles déjà assez

grandes! Je les baisai sans leur faire de mal. J’ai bêché la terre avec

respect à l’entour de l’arbre chéri. Aussitôt, rempli d’un transport

nouveau, j’ai traversé la montagne; je suis arrivé à Menagio: il me

fallait un passeport pour entrer en Suisse. Le temps avait volé, il

était déjà une heure du matin quand je me suis vu à la porte de Vasi. Je

pensais devoir frapper longtemps pour le réveiller; mais il était debout

avec trois de ses amis. A mon premier mot: «Tu vas rejoindre Napoléon!»

s’est-il écrié, et il m’a sauté au cou. Les autres aussi m’ont embrassé

avec transport. «Pourquoi suis-je marié!» disait l’un d’eux.

Mme Pietranera était devenue pensive; elle crut devoir présenter

quelques objections. Si Fabrice eût eu la moindre expérience, il eût

bien vu que la comtesse elle-mĂŞme ne croyait pas aux bonnes raisons

qu’elle se hâtait de lui donner. Mais, à défaut d’expérience, il avait

de la résolution; il ne daigna pas même écouter ces raisons. La comtesse

se réduisit bientôt à obtenir de lui que du moins il fît part de son

projet à sa mère.

--Elle le dira à mes sœurs, et ces femmes me trahiront à leur insu!

s’écria Fabrice avec une sorte de hauteur héroïque.

--Parlez donc avec plus de respect, dit la comtesse souriant au milieu

de ses larmes, du sexe qui fera votre fortune; car vous déplairez

toujours aux hommes, vous avez trop de feu pour les âmes prosaïques.

La marquise fondit en larmes en apprenant l’étrange projet de son

fils; elle n’en sentait pas l’héroïsme, et fit tout son possible pour

le retenir. Quand elle fut convaincue que rien au monde, excepté les

murs d’une prison, ne pourrait l’empêcher de partir, elle lui remit

le peu d’argent qu’elle possédait; puis elle se souvint qu’elle avait

depuis la veille huit ou dix petits diamants valant peut-ĂŞtre dix mille

francs, que le marquis lui avait confiés pour les faire monter à Milan.

Les sœurs de Fabrice entrèrent chez leur mère tandis que la comtesse

cousait ces diamants dans l’habit de voyage de notre héros; il rendait à

ces pauvres femmes leurs chétifs napoléons. Ses sœurs furent tellement

enthousiasmées de son projet, elles l’embrassaient avec une joie si

bruyante qu’il prit à la main quelques diamants qui restaient encore à

cacher, et voulut partir sur-le-champ.

--Vous me trahiriez à votre insu, dit-il à ses sœurs. Puisque j’ai

tant d’argent, il est inutile d’emporter des hardes; on en trouve

partout. Il embrassa ces personnes qui lui étaient si chères, et partit

à l’instant même sans vouloir rentrer dans sa chambre. Il marcha si

vite, craignant toujours d’être poursuivi par des gens à cheval, que le

soir même il entrait à Lugano. Grâce à Dieu, il était dans une ville

suisse, et ne craignait plus d’être violenté sur la route solitaire par

des gendarmes payés par son père. De ce lieu, il lui écrivit une belle

lettre, faiblesse d’enfant qui donna de la consistance à la colère du

marquis. Fabrice prit la poste, passa le Saint-Gothard; son voyage

fut rapide, et il entra en France par Pontarlier. L’Empereur était à

Paris. Là commencèrent les malheurs de Fabrice; il était parti dans la

ferme intention de parler à l’Empereur: jamais il ne lui était venu

à l’esprit que ce fût chose difficile. A Milan, dix fois par jour il

voyait le prince Eugène et eût pu lui adresser la parole. A Paris, tous

les matins, il allait dans la cour du château des Tuileries assister

aux revues passées par Napoléon; mais jamais il ne put approcher de

l’Empereur. Notre héros croyait tous les Français profondément émus

comme lui de l’extrême danger que courait la patrie. A la table de

l’hôtel où il était descendu, il ne fit point mystère de ses projets

et de son dévouement; il trouva des jeunes gens d’une douceur aimable,

encore plus enthousiastes que lui, et qui, en peu de jours, ne

manquèrent pas de lui voler tout l’argent qu’il possédait. Heureusement,

par pure modestie, il n’avait pas parlé des diamants donnés par sa mère.

Le matin où, à la suite d’une orgie, il se trouva décidément volé,

il acheta deux beaux chevaux, prit pour domestique un ancien soldat

palefrenier du maquignon, et, dans son mépris pour les jeunes Parisiens

beaux parleurs, partit pour l’armée. Il ne savait rien, sinon qu’elle se

rassemblait vers Maubeuge. A peine fut-il arrivé sur la frontière, qu’il

trouva ridicule de se tenir dans une maison, occupé à se chauffer devant

une bonne cheminée, tandis que des soldats bivouaquaient. Quoi que pût

lui dire son domestique, qui ne manquait pas de bon sens, il courut se

mêler imprudemment aux bivouacs de l’extrême frontière, sur la route de

Belgique. A peine fut-il arrivé au premier bataillon placé à côté de la

route, que les soldats se mirent Ă  regarder ce jeune bourgeois, dont la

mise n’avait rien qui rappelât l’uniforme. La nuit tombait, il faisait

un vent froid. Fabrice s’approcha d’un feu, et demanda l’hospitalité en

payant. Les soldats se regardèrent étonnés surtout de l’idée de payer,

et lui accordèrent avec bonté une place au feu; son domestique lui

fit un abri. Mais, une heure après, l’adjudant du régiment passant à

portée du bivouac, les soldats allèrent lui raconter l’arrivée de cet

étranger parlant mal français. L’adjudant interrogea Fabrice, qui lui

parla de son enthousiasme pour l’Empereur avec un accent fort suspect;

sur quoi ce sous-officier le pria de le suivre jusque chez le colonel,

établi dans une ferme voisine. Le domestique de Fabrice s’approcha

avec les deux chevaux. Leur vue parut frapper si vivement l’adjudant

sous-officier, qu’aussitôt il changea de pensée, et se mit à interroger

aussi le domestique. Celui-ci, ancien soldat, devinant d’abord le plan

de campagne de son interlocuteur, parla des protections qu’avait son

maître, ajoutant que, certes, on ne lui chiperait pas ses beaux chevaux.

Aussitôt un soldat appelé par l’adjudant lui mit la main sur le collet;

un autre soldat prit soin des chevaux, et, d’un air sévère, l’adjudant

ordonna à Fabrice de le suivre sans répliquer.

Après lui avoir fait faire une bonne lieue, à pied, dans l’obscurité

rendue plus profonde en apparence par le feu des bivouacs qui de toutes

parts éclairaient l’horizon, l’adjudant remit Fabrice à un officier

de gendarmerie qui, d’un air grave, lui demanda ses papiers. Fabrice

montra son passeport qui le qualifiait marchand de baromètres portant sa

marchandise.

--Sont-ils bêtes, s’écria l’officier, c’est aussi trop fort!

Il fit des questions à notre héros qui parla de l’Empereur et de la

liberté dans les termes du plus vif enthousiasme; sur quoi l’officier de

gendarmerie fut saisi d’un rire fou.

--Parbleu! tu n’es pas trop adroit! s’écria-t-il. Il est un peu fort de

café que l’on ose nous expédier des blancs-becs de ton espèce!

Et quoi que pût dire Fabrice, qui se tuait à expliquer qu’en effet il

n’était pas marchand de baromètres, l’officier l’envoya à la prison de

B..., petite ville du voisinage où notre héros arriva sur les trois

heures du matin, outré de fureur et mort de fatigue.

Fabrice, d’abord étonné, puis furieux, ne comprenant absolument rien

à ce qui lui arrivait, passa trente-trois longues journées dans cette

misérable prison; il écrivait lettres sur lettres au commandant de la

place, et c’était la femme du geôlier, belle Flamande de trente-six

ans, qui se chargeait de les faire parvenir. Mais comme elle n’avait

nulle envie de faire fusiller un aussi joli garçon, et que d’ailleurs

il payait bien, elle ne manquait pas de jeter au feu toutes ces

lettres. Le soir, fort tard, elle daignait venir écouter les doléances

du prisonnier; elle avait dit Ă  son mari que le blanc-bec avait de

l’argent, sur quoi le prudent geôlier lui avait donné carte blanche.

Elle usa de la permission et reçut quelques napoléons d’or, car

l’adjudant n’avait enlevé que les chevaux, et l’officier de gendarmerie

n’avait rien confisqué du tout. Une après-midi du mois de juin, Fabrice

entendit une forte canonnade assez éloignée. On se battait donc enfin!

son cœur bondissait d’impatience. Il entendit aussi beaucoup de bruit

dans la ville; en effet un grand mouvement s’opérait, trois divisions

traversaient B... Quand, sur les onze heures du soir, la femme du

geĂ´lier vint partager ses peines, Fabrice fut plus aimable encore que de

coutume; puis lui prenant les mains:

--Faites-moi sortir d’ici, je jurerai sur l’honneur de revenir dans la

prison dès qu’on aura cessé de se battre.

--Balivernes que tout cela! As-tu du <i>quibus</i>? Il parut inquiet, il ne

comprenait pas le mot <i>quibus</i>. La geôlière, voyant ce mouvement, jugea

que les eaux étaient basses, et, au lieu de parler de napoléons d’or

comme elle l’avait résolu, elle ne parla plus que de francs.

--Ecoute, lui dit-elle, si tu peux donner une centaine de francs, je

mettrai un double napoléon sur chacun des yeux du caporal qui va venir

relever la garde pendant la nuit. Il ne pourra te voir partir de prison,

et si son régiment doit filer dans la journée, il acceptera.

Le marché fut bientôt conclu. La geôlière consentit même à cacher

Fabrice dans sa chambre d’où il pourrait plus facilement s’évader le

lendemain matin.

Le lendemain, avant l’aube, cette femme tout attendrie dit à Fabrice:

--Mon cher petit, tu es encore bien jeune pour faire ce vilain métier:

crois-moi, n’y reviens plus.

--Mais quoi! répétait Fabrice, il est donc criminel de vouloir défendre

la patrie?

--Suffit. Rappelle-toi toujours que je t’ai sauvé la vie; ton cas

était net, tu aurais été fusillé, mais ne le dis à personne, car tu

nous ferais perdre notre place à mon mari et à moi; surtout ne répète

jamais ton mauvais conte d’un gentilhomme de Milan déguisé en marchand

de baromètres, c’est trop bête. Ecoute-moi bien, je vais te donner

les habits d’un hussard mort avant-hier dans la prison: n’ouvre la

bouche que le moins possible, mais enfin, si un maréchal des logis ou

un officier t’interroge de façon à te forcer de répondre, dis que tu

es resté malade chez un paysan qui t’a recueilli par charité comme

tu tremblais la fièvre dans un fossé de la route. Si l’on n’est pas

satisfait de cette réponse, ajoute que tu vas rejoindre ton régiment. On

t’arrêtera peut-être à cause de ton accent: alors dis que tu es né en

Piémont, que tu es un conscrit resté en France l’année passée, etc.

Pour la première fois, après trente-trois jours de fureur, Fabrice

comprit le fin mot de tout ce qui lui arrivait. On le prenait pour un

espion. Il raisonna avec la geôlière, qui, ce matin-là, était fort

tendre, et enfin tandis qu’armée d’une aiguille elle rétrécissait les

habits du hussard, il raconta son histoire bien clairement Ă  cette femme

étonnée. Elle y crut un instant; il avait l’air si naïf, et il était si

joli habillé en hussard!

--Puisque tu as tant de bonne volonté pour te battre, lui dit-elle enfin

à demi persuadée, il fallait donc en arrivant à Paris t’engager dans

un régiment. En payant à boire à un maréchal des logis, ton affaire

était faite! La geôlière ajouta beaucoup de bons avis pour l’avenir, et

enfin, à la petite pointe du jour, mit Fabrice hors de chez elle, après

lui avoir fait jurer cent et cent fois que jamais il ne prononcerait

son nom, quoi qu’il pût arriver. Dès que Fabrice fut sorti de la petite

ville, marchant gaillardement le sabre de hussard sous le bras, il lui

vint un scrupule. Me voici, se dit-il, avec l’habit et la feuille de

route d’un hussard mort en prison, où l’avait conduit, dit-on, le vol

d’une vache et de quelques couverts d’argent! j’ai pour ainsi dire

succédé à son être... et cela sans le vouloir ni le prévoir en aucune

manière! Gare la prison!... Le présage est clair, j’aurai beaucoup à

souffrir de la prison!

Il n’y avait pas une heure que Fabrice avait quitté sa bienfaitrice,

lorsque la pluie commença à tomber avec une telle force qu’à peine le

nouvel hussard pouvait-il marcher, embarrassé par des bottes grossières

qui n’étaient pas faites pour lui. Il fit rencontre d’un paysan monté

sur un méchant cheval, il acheta le cheval en s’expliquant par signes;

la geôlière lui avait recommandé de parler le moins possible, à cause de

son accent.

Ce jour-là l’armée, qui venait de gagner la bataille de Ligny, était

en pleine marche sur Bruxelles; on était à la veille de la bataille de

Waterloo. Sur le midi, la pluie Ă  verse continuant toujours, Fabrice

entendit le bruit du canon; ce bonheur lui fit oublier tout Ă  fait les

affreux moments de désespoir que venait de lui donner cette prison si

injuste. Il marcha jusqu’à la nuit très avancée, et comme il commençait

Ă  avoir quelque bon sens, il alla prendre son logement dans une maison

de paysan fort éloignée de la route. Ce paysan pleurait et prétendait

qu’on lui avait tout pris; Fabrice lui donna un écu, et il trouva de

l’avoine. Mon cheval n’est pas beau, se dit Fabrice; mais qu’importe,

il pourrait bien se trouver du goût de quelque adjudant, et il alla

coucher à l’écurie à ses côtés. Une heure avant le jour, le lendemain,

Fabrice était sur la route, et, à force de caresses, il était parvenu à

faire prendre le trot Ă  son cheval. Sur les cinq heures, il entendit la

canonnade: c’étaient les préliminaires de Waterloo.

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Title: La Chartreuse de Parme

Author: Stendhal

Release Date: June 29, 2013 [EBook #796]

[Most recently updated: January 7, 2020]

Language: French

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Project Gutenberg Volunteer.

LA CHARTREUSE DE PARME

par Stendhal

LIVRE PREMIER

Gia mi fur dolci inviti a empir le carte

I luoghi ameni.

Ariost, sat. IV.

CHAPITRE PREMIER

Milan en 1796

Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la

tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et

d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient

un successeur. Les miracles de bravoure et de génie dont l’Italie fut

témoin en quelques mois réveillèrent un peuple endormi; huit jours

encore avant l’arrivée des Français, les Milanais ne voyaient en eux

qu’un ramassis de brigands, habitués à fuir toujours devant les troupes

de Sa Majesté Impériale et Royale: c’était du moins ce que leur répétait

trois fois la semaine un petit journal grand comme la main, imprimé sur

du papier sale.

Au Moyen Age, les Lombards républicains avaient fait preuve d’une

bravoure égale à celle des Français, et ils méritèrent de voir leur

ville entièrement rasée par les empereurs d’Allemagne. Depuis qu’ils

étaient devenus de fidèles sujets, leur grande affaire était d’imprimer

des sonnets sur de petits mouchoirs de taffetas rose quand arrivait le

mariage d’une jeune fille appartenant à quelque famille noble ou riche.

Deux ou trois ans après cette grande époque de sa vie, cette jeune fille

prenait un cavalier servant: quelquefois le nom du sigisbée choisi par

la famille du mari occupait une place honorable dans le contrat de

mariage. Il y avait loin de ces mœurs efféminées aux émotions profondes

que donna l’arrivée imprévue de l’armée française. Bientôt surgirent

des mœurs nouvelles et passionnées. Un peuple tout entier s’aperçut,

le 15 mai 1796, que tout ce qu’il avait respecté jusque-là était

souverainement ridicule et quelquefois odieux. Le départ du dernier

régiment de l’Autriche marqua la chute des idées anciennes: exposer sa

vie devint à la mode; on vit que pour être heureux après des siècles

de sensations affadissantes, il fallait aimer la patrie d’un amour

réel et chercher les actions héroïques. On était plongé dans une nuit

profonde par la continuation du despotisme jaloux de Charles Quint et de

Philippe II; on renversa leurs statues, et tout à coup l’on se trouva

inondé de lumière. Depuis une cinquantaine d’années, et à mesure que

l’Encyclopédie et Voltaire éclataient en France, les moines criaient au

bon peuple de Milan, qu’apprendre à lire ou quelque chose au monde était

une peine fort inutile, et qu’en payant bien exactement la dîme à son

curé, et lui racontant fidèlement tous ses petits péchés, on était à

peu près sûr d’avoir une belle place au paradis. Pour achever d’énerver

ce peuple autrefois si terrible et si raisonneur, l’Autriche lui avait

vendu à bon marché le privilège de ne point fournir de recrues à son

armée.

En 1796, l’armée milanaise se composait de vingt-quatre faquins habillés

de rouge, lesquels gardaient la ville de concert avec quatre magnifiques

régiments de grenadiers hongrois. La liberté des mœurs était extrême,

mais la passion fort rare; d’ailleurs, outre le désagrément de devoir

tout raconter au curé, sous peine de ruine même en ce monde, le bon

peuple de Milan était encore soumis à certaines petites entraves

monarchiques qui ne laissaient pas que d’être vexantes. Par exemple

l’archiduc, qui résidait à Milan et gouvernait au nom de l’Empereur,

son cousin, avait eu l’idée lucrative de faire le commerce des blés. En

conséquence, défense aux paysans de vendre leurs grains jusqu’à ce que

Son Altesse eût rempli ses magasins.

En mai 1796, trois jours après l’entrée des Français, un jeune peintre

en miniature, un peu fou, nommé Gros, célèbre depuis, et qui était venu

avec l’armée, entendant raconter au grand café des Servi (à la mode

alors) les exploits de l’archiduc, qui de plus était énorme, prit la

liste des glaces imprimée en placard sur une feuille de vilain papier

jaune. Sur le revers de la feuille il dessina le gros archiduc; un

soldat français lui donnait un coup de baïonnette dans le ventre, et,

au lieu de sang, il en sortait une quantité de blé incroyable. La chose

nommée plaisanterie ou caricature n’était pas connue en ce pays de

despotisme cauteleux. Le dessin laissé par Gros sur la table du café

des Servi parut un miracle descendu du ciel; il fut gravé dans la nuit,

et le lendemain on en vendit vingt mille exemplaires.

Le même jour, on affichait l’avis d’une contribution de guerre de six

millions, frappée pour les besoins de l’armée française, laquelle,

venant de gagner six batailles et de conquérir vingt provinces, manquait

seulement de souliers, de pantalons, d’habits et de chapeaux.

La masse de bonheur et de plaisir qui fit irruption en Lombardie avec

ces Français si pauvres fut telle que les prêtres seuls et quelques

nobles s’aperçurent de la lourdeur de cette contribution de six

millions, qui, bientôt, fut suivie de beaucoup d’autres. Ces soldats

français riaient et chantaient toute la journée; ils avaient moins

de vingt-cinq ans, et leur général en chef, qui en avait vingt-sept,

passait pour l’homme le plus âgé de son armée. Cette gaieté, cette

jeunesse, cette insouciance, répondaient d’une façon plaisante aux

prédications furibondes des moines qui, depuis six mois, annonçaient du

haut de la chaire sacrée que les Français étaient des monstres, obligés,

sous peine de mort, à tout brûler et à couper la tête à tout le monde. A

cet effet, chaque régiment marchait avec la guillotine en tête.

Dans les campagnes l’on voyait sur la porte des chaumières le soldat

français occupé à bercer le petit enfant de la maîtresse du logis, et

presque chaque soir quelque tambour, jouant du violon, improvisait un

bal. Les contredanses se trouvant beaucoup trop savantes et compliquées

pour que les soldats, qui d’ailleurs ne les savaient guère, pussent les

apprendre aux femmes du pays, c’étaient celles-ci qui montraient aux

jeunes Français la Monférine, la Sauteuse et autres danses italiennes.

Les officiers avaient été logés, autant que possible, chez les gens

riches; ils avaient bon besoin de se refaire. Par exemple, un lieutenant

nommé Robert eut un billet de logement pour le palais de la marquise

del Dongo. Cet officier, jeune réquisitionnaire assez leste, possédait

pour tout bien, en entrant dans ce palais, un écu de six francs qu’il

venait de recevoir à Plaisance. Après le passage du pont de Lodi, il

prit à un bel officier autrichien tué par un boulet un magnifique

pantalon de nankin tout neuf, et jamais vĂŞtement ne vint plus Ă  propos.

Ses épaulettes d’officier étaient en laine, et le drap de son habit

était cousu à la doublure des manches pour que les morceaux tinssent

ensemble; mais il y avait une circonstance plus triste: les semelles

de ses souliers étaient en morceaux de chapeau également pris sur le

champ de bataille, au-delà du pont de Lodi. Ces semelles improvisées

tenaient au-dessus des souliers par des ficelles fort visibles, de façon

que lorsque le majordome de la maison se présenta dans la chambre du

lieutenant Robert pour l’inviter à dîner avec Mme la marquise, celui-ci

fut plongé dans un mortel embarras. Son voltigeur et lui passèrent les

deux heures qui les séparaient de ce fatal dîner à tâcher de recoudre

un peu l’habit et à teindre en noir avec de l’encre les malheureuses

ficelles des souliers. Enfin le moment terrible arriva. «De la vie je

ne fus plus mal Ă  mon aise, me disait le lieutenant Robert; ces dames

pensaient que j’allais leur faire peur, et moi j’étais plus tremblant

qu’elles. Je regardais mes souliers et ne savais comment marcher avec

grâce. La marquise del Dongo, ajoutait-il, était alors dans tout l’éclat

de sa beauté: vous l’avez connue avec ses yeux si beaux et d’une douceur

angélique et ses jolis cheveux d’un blond foncé qui dessinaient si

bien l’ovale de cette figure charmante. J’avais dans ma chambre une

Hérodiade de Léonard de Vinci qui semblait son portrait. Dieu voulut

que je fusse tellement saisi de cette beauté surnaturelle que j’en

oubliai mon costume. Depuis deux ans je ne voyais que des choses laides

et misérables dans les montagnes du pays de Gênes: j’osai lui adresser

quelques mots sur mon ravissement.

«Mais j’avais trop de sens pour m’arrêter longtemps dans le genre

complimenteur. Tout en tournant mes phrases, je voyais, dans une salle

Ă  manger toute de marbre, douze laquais et des valets de chambre vĂŞtus

avec ce qui me semblait alors le comble de la magnificence. Figurez-vous

que ces coquins-lĂ  avaient non seulement de bons souliers, mais encore

des boucles d’argent. Je voyais du coin de l’œil tous ces regards

stupides fixés sur mon habit, et peut-être aussi sur mes souliers, ce

qui me perçait le cœur. J’aurais pu d’un mot faire peur à tous ces gens;

mais comment les mettre à leur place sans courir le risque d’effaroucher

les dames? car la marquise pour se donner un peu de courage, comme elle

me l’a dit cent fois depuis, avait envoyé prendre au couvent où elle

était pensionnaire en ce temps-là, Gina del Dongo, sœur de son mari,

qui fut depuis cette charmante comtesse Pietranera: personne dans la

prospérité ne la surpassa par la gaieté et l’esprit aimable, comme

personne ne la surpassa par le courage et la sérénité d’âme dans la

fortune contraire.

«Gina, qui pouvait avoir alors treize ans, mais qui en paraissait

dix-huit, vive et franche, comme vous savez, avait tant de peur

d’éclater de rire en présence de mon costume, qu’elle n’osait

pas manger; la marquise, au contraire, m’accablait de politesses

contraintes; elle voyait fort bien dans mes yeux des mouvements

d’impatience. En un mot, je faisais une sotte figure, je mâchais le

mépris, chose qu’on dit impossible à un Français. Enfin une idée

descendue du ciel vint m’illuminer: je me mis à raconter à ces dames

ma misère, et ce que nous avions souffert depuis deux ans dans les

montagnes du pays de Gênes où nous retenaient de vieux généraux

imbéciles. Là, disais-je, on nous donnait des assignats qui n’avaient

pas cours dans le pays, et trois onces de pain par jour. Je n’avais pas

parlé deux minutes, que la bonne marquise avait les larmes aux yeux, et

la Gina était devenue sérieuse.

«--Quoi, monsieur le lieutenant, me disait celle-ci, trois onces de pain!

«--Oui, mademoiselle; mais en revanche la distribution manquait trois

fois la semaine, et comme les paysans chez lesquels nous logions étaient

encore plus misérables que nous, nous leur donnions un peu de notre pain.

«En sortant de table, j’offris mon bras à la marquise jusqu’à la porte

du salon, puis, revenant rapidement sur mes pas, je donnai au domestique

qui m’avait servi à table cet unique écu de six francs sur l’emploi

duquel j’avais fait tant de châteaux en Espagne.

«Huit jours après, continuait Robert, quand il fut bien avéré que les

Français ne guillotinaient personne, le marquis del Dongo revint de son

château de Grianta, sur le lac de Côme, où bravement il s’était réfugié

à l’approche de l’armée, abandonnant aux hasards de la guerre sa jeune

femme si belle et sa sœur. La haine que ce marquis avait pour nous était

égale à sa peur, c’est-à-dire incommensurable: sa grosse figure pâle

et dévote était amusante à voir quand il me faisait des politesses. Le

lendemain de son retour à Milan, je reçus trois aunes de drap et deux

cents francs sur la contribution des six millions: je me remplumai, et

devins le chevalier de ces dames, car les bals commencèrent.

L’histoire du lieutenant Robert fut à peu près celle de tous les

Français; au lieu de se moquer de la misère de ces braves soldats, on en

eut pitié, et on les aima.

Cette époque de bonheur imprévu et d’ivresse ne dura que deux petites

années; la folie avait été si excessive et si générale, qu’il me serait

impossible d’en donner une idée, si ce n’est par cette réflexion

historique et profonde: ce peuple s’ennuyait depuis cent ans.

La volupté naturelle aux pays méridionaux avait régné jadis à la cour

des Visconti et des Sforce, ces fameux ducs de Milan. Mais depuis l’an

1635, que les Espagnols s’étaient emparés du Milanais, et emparés en

maîtres taciturnes, soupçonneux, orgueilleux, et craignant toujours la

révolte, la gaieté s’était enfuie. Les peuples, prenant les mœurs de

leurs maîtres, songeaient plutôt à se venger de la moindre insulte par

un coup de poignard qu’à jouir du moment présent.

La joie folle, la gaieté, la volupté, l’oubli de tous les sentiments

tristes, ou seulement raisonnables, furent poussés à un tel point,

depuis le 15 mai 1796, que les Français entrèrent à Milan, jusqu’en

avril 1799, qu’ils en furent chassés à la suite de la bataille de

Cassano, que l’on a pu citer de vieux marchands millionnaires, de vieux

usuriers, de vieux notaires qui, pendant cet intervalle, avaient oublié

d’être moroses et de gagner de l’argent.

Tout au plus eût-il été possible de compter quelques familles

appartenant à la haute noblesse, qui s’étaient retirées dans leurs

palais à la campagne, comme pour bouder contre l’allégresse générale

et l’épanouissement de tous les cœurs. Il est véritable aussi que ces

familles nobles et riches avaient été distinguées d’une manière fâcheuse

dans la répartition des contributions de guerre demandées pour l’armée

française.

Le marquis del Dongo, contrarié de voir tant de gaieté, avait été un des

premiers à regagner son magnifique château de Grianta, au-delà de Côme,

où les dames menèrent le lieutenant Robert. Ce château, situé dans une

position peut-ĂŞtre unique au monde, sur un plateau de cent cinquante

pieds au-dessus de ce lac sublime dont il domine une grande partie,

avait été une place forte. La famille del Dongo le fit construire au

quinzième siècle, comme le témoignaient de toutes parts les marbres

chargés de ses armes; on y voyait encore des ponts-levis et des fossés

profonds, à la vérité privés d’eau; mais avec ces murs de quatre-vingts

pieds de haut et de six pieds d’épaisseur, ce château était à l’abri

d’un coup de main; et c’est pour cela qu’il était cher au soupçonneux

marquis. Entouré de vingt-cinq ou trente domestiques qu’il supposait

dévoués, apparemment parce qu’il ne leur parlait jamais que l’injure à

la bouche, il était moins tourmenté par la peur qu’à Milan.

Cette peur n’était pas tout à fait gratuite: il correspondait fort

activement avec un espion placé par l’Autriche sur la frontière suisse

à trois lieues de Grianta, pour faire évader les prisonniers faits sur

le champ de bataille, ce qui aurait pu être pris au sérieux par les

généraux français.

Le marquis avait laissé sa jeune femme à Milan: elle y dirigeait

les affaires de la famille, elle était chargée de faire face aux

contributions imposées à la casa del Dongo, comme on dit dans le pays;

elle cherchait à les faire diminuer, ce qui l’obligeait à voir ceux des

nobles qui avaient accepté des fonctions publiques, et même quelques

non nobles fort influents. Il survint un grand événement dans cette

famille. Le marquis avait arrangé le mariage de sa jeune sœur Gina avec

un personnage fort riche et de la plus haute naissance; mais il portait

de la poudre: à ce titre, Gina le recevait avec des éclats de rire, et

bientôt elle fit la folie d’épouser le comte Pietranera. C’était à la

vérité un fort bon gentilhomme, très bien fait de sa personne, mais

ruiné de père en fils, et, pour comble de disgrâce, partisan fougueux

des idées nouvelles. Pietranera était sous-lieutenant dans la légion

italienne, surcroît de désespoir pour le marquis.

Après ces deux années de folie et de bonheur, le Directoire de Paris,

se donnant des airs de souverain bien établi, montra une haine mortelle

pour tout ce qui n’était pas médiocre. Les généraux ineptes qu’il donna

à l’armée d’Italie perdirent une suite de batailles dans ces mêmes

plaines de Vérone, témoins deux ans auparavant des prodiges d’Arcole

et de Lonato. Les Autrichiens se rapprochèrent de Milan; le lieutenant

Robert, devenu chef de bataillon et blessé à la bataille de Cassano,

vint loger pour la dernière fois chez son amie la marquise del Dongo.

Les adieux furent tristes; Robert partit avec le comte Pietranera qui

suivait les Français dans leur retraite sur Novi. La jeune comtesse, à

laquelle son frère refusa de payer sa légitime, suivit l’armée montée

sur une charrette.

Alors commença cette époque de réaction et de retour aux idées

anciennes, que les Milanais appellent «i tredici mesi» (les treize

mois), parce qu’en effet leur bonheur voulut que ce retour à la sottise

ne durât que treize mois, jusqu’à Marengo. Tout ce qui était vieux,

dévot, morose, reparut à la tête des affaires, et reprit la direction

de la société: bientôt les gens restés fidèles aux bonnes doctrines

publièrent dans les villages que Napoléon avait été pendu par les

Mameluks en Egypte, comme il le méritait à tant de titres.

Parmi ces hommes qui étaient allés bouder dans leurs terres et qui

revenaient altérés de vengeance, le marquis del Dongo se distinguait par

sa fureur; son exagération le porta naturellement à la tête du parti.

Ces messieurs, fort honnêtes gens quand ils n’avaient pas peur, mais qui

tremblaient toujours, parvinrent à circonvenir le général autrichien:

assez bon homme, il se laissa persuader que la sévérité était de la

haute politique, et fit arrêter cent cinquante patriotes: c’était bien

alors ce qu’il y avait de mieux en Italie.

Bientôt on les déporta aux bouches de Cattaro, et jetés dans des grottes

souterraines, l’humidité et surtout le manque de pain firent bonne et

prompte justice de tous ces coquins.

Le marquis del Dongo eut une grande place, et, comme il joignait une

avarice sordide à une foule d’autres belles qualités, il se vanta

publiquement de ne pas envoyer un écu à sa sœur, la comtesse Pietranera:

toujours folle d’amour, elle ne voulait pas quitter son mari, et mourait

de faim en France avec lui. La bonne marquise était désespérée; enfin

elle réussit à dérober quelques petits diamants dans son écrin, que son

mari lui reprenait tous les soirs pour l’enfermer sous son lit dans une

caisse de fer: la marquise avait apporté huit cent mille francs de dot

à son mari, et recevait quatre-vingts francs par mois pour ses dépenses

personnelles. Pendant les treize mois que les Français passèrent hors de

Milan, cette femme si timide trouva des prétextes et ne quitta pas le

noir.

Nous avouerons que, suivant l’exemple de beaucoup de graves auteurs,

nous avons commencé l’histoire de notre héros une année avant sa

naissance. Ce personnage essentiel n’est autre, en effet, que Fabrice

Valserra, marchesino del Dongo, comme on dit Ă  Milan 1. Il venait

justement de se donner la peine de naître lorsque les Français furent

chassés, et se trouvait, par le hasard de la naissance, le second fils

de ce marquis del Dongo si grand seigneur, et dont vous connaissez déjà

le gros visage blĂŞme, le sourire faux et la haine sans bornes pour les

idées nouvelles. Toute la fortune de la maison était substituée au fils

aîné Ascanio del Dongo, le digne portrait de son père. Il avait huit

ans, et Fabrice deux, lorsque tout à coup ce général Bonaparte, que

tous les gens bien nés croyaient pendu depuis longtemps, descendit du

mont Saint-Bernard. Il entra dans Milan: ce moment est encore unique

dans l’histoire; figurez-vous tout un peuple amoureux fou. Peu de jours

après, Napoléon gagna la bataille de Marengo. Le reste est inutile à

dire. L’ivresse des Milanais fut au comble; mais, cette fois, elle

était mélangée d’idées de vengeance: on avait appris la haine à ce bon

peuple. Bientôt l’on vit arriver ce qui restait des patriotes déportés

aux bouches de Cattaro; leur retour fut célébré par une fête nationale.

Leurs figures pâles, leurs grands yeux étonnés, leurs membres amaigris,

faisaient un étrange contraste avec la joie qui éclatait de toutes

parts. Leur arrivée fut le signal du départ pour les familles les plus

compromises. Le marquis del Dongo fut des premiers à s’enfuir à son

château de Grianta. Les chefs des grandes familles étaient remplis

de haine et de peur; mais leurs femmes, leurs filles, se rappelaient

les joies du premier séjour des Français, et regrettaient Milan et

les bals si gais, qui aussitôt après Marengo s’organisèrent à la Casa

Tanzi. Peu de jours après la victoire, le général français, chargé de

maintenir la tranquillité dans la Lombardie, s’aperçut que tous les

fermiers des nobles, que toutes les vieilles femmes de la campagne,

bien loin de songer encore à cette étonnante victoire de Marengo qui

avait changé les destinées de l’Italie, et reconquis treize places

fortes en un jour, n’avaient l’âme occupée que d’une prophétie de saint

Giovita, le premier patron de Brescia. Suivant cette parole sacrée,

les prospérités des Français et de Napoléon devaient cesser treize

semaines juste après Marengo. Ce qui excuse un peu le marquis del Dongo

et tous les nobles boudeurs des campagnes, c’est que réellement et sans

comédie ils croyaient à la prophétie. Tous ces gens-là n’avaient pas lu

quatre volumes en leur vie; ils faisaient ouvertement leurs préparatifs

pour rentrer Ă  Milan au bout des treize semaines, mais le temps, en

s’écoulant, marquait de nouveaux succès pour la cause de la France. De

retour à Paris, Napoléon, par de sages décrets, sauvait la révolution

à l’intérieur, comme il l’avait sauvée à Marengo contre les étrangers.

Alors les nobles lombards, réfugiés dans leurs châteaux, découvrirent

que d’abord ils avaient mal compris la prédiction du saint patron de

Brescia: il ne s’agissait pas de treize semaines, mais bien de treize

mois. Les treize mois s’écoulèrent, et la prospérité de la France

semblait s’augmenter tous les jours.

Nous glissons sur dix années de progrès et de bonheur, de 1800 à

1810; Fabrice passa les premières au château de Grianta, donnant et

recevant force coups de poing au milieu des petits paysans du village,

et n’apprenant rien, pas même à lire. Plus tard, on l’envoya au

collège des jésuites à Milan. Le marquis son père exigea qu’on lui

montrât le latin, non point d’après ces vieux auteurs qui parlent

toujours des républiques, mais sur un magnifique volume orné de plus

de cent gravures, chef-d’œuvre des artistes du XVIIe siècle; c’était

la généalogie latine des Valserra, marquis del Dongo, publiée en 1650

par Fabrice del Dongo, archevĂŞque de Parme. La fortune des Valserra

étant surtout militaire, les gravures représentaient force batailles,

et toujours on voyait quelque héros de ce nom donnant de grands coups

d’épée. Ce livre plaisait fort au jeune Fabrice. Sa mère, qui l’adorait,

obtenait de temps en temps la permission de venir le voir Ă  Milan; mais

son mari ne lui offrant jamais d’argent pour ces voyages, c’était sa

belle-sœur, l’aimable comtesse Pietranera, qui lui en prêtait. Après le

retour des Français, la comtesse était devenue l’une des femmes les plus

brillantes de la cour du prince Eugène, vice-roi d’Italie.

Lorsque Fabrice eut fait sa première communion, elle obtint du marquis,

toujours exilé volontaire, la permission de le faire sortir quelquefois

de son collège. Elle le trouva singulier, spirituel, fort sérieux, mais

joli garçon, et ne déparant point trop le salon d’une femme à la mode;

du reste, ignorant à plaisir, et sachant à peine écrire. La comtesse,

qui portait en toutes choses son caractère enthousiaste, promit sa

protection au chef de l’établissement, si son neveu Fabrice faisait

des progrès étonnants, et à la fin de l’année avait beaucoup de prix.

Pour lui donner les moyens de les mériter, elle l’envoyait chercher

tous les samedis soir, et souvent ne le rendait à ses maîtres que le

mercredi ou le jeudi. Les jésuites, quoique tendrement chéris par le

prince vice-roi, étaient repoussés d’Italie par les lois du royaume,

et le supérieur du collège, homme habile, sentit tout le parti qu’il

pourrait tirer de ses relations avec une femme toute-puissante Ă  la

cour. Il n’eut garde de se plaindre des absences de Fabrice, qui, plus

ignorant que jamais, à la fin de l’année obtint cinq premiers prix. A

cette condition, la brillante comtesse Pietranera, suivie de son mari,

général commandant une des divisions de la garde, et de cinq ou six

des plus grands personnages de la cour du vice-roi, vint assister Ă  la

distribution des prix chez les jésuites. Le supérieur fut complimenté

par ses chefs.

La comtesse conduisait son neveu Ă  toutes ces fĂŞtes brillantes qui

marquèrent le règne trop court de l’aimable prince Eugène. Elle

l’avait créé de son autorité officier de hussards, et Fabrice, âgé de

douze ans, portait cet uniforme. Un jour, la comtesse, enchantée de

sa jolie tournure, demanda pour lui au prince une place de page, ce

qui voulait dire que la famille del Dongo se ralliait. Le lendemain,

elle eut besoin de tout son crédit pour obtenir que le vice-roi voulût

bien ne pas se souvenir de cette demande, Ă  laquelle rien ne manquait

que le consentement du père du futur page, et ce consentement eût été

refusé avec éclat. A la suite de cette folie, qui fit frémir le marquis

boudeur, il trouva un prétexte pour rappeler à Grianta le jeune Fabrice.

La comtesse méprisait souverainement son frère; elle le regardait comme

un sot triste, et qui serait méchant si jamais il en avait le pouvoir.

Mais elle était folle de Fabrice, et, après dix ans de silence, elle

écrivit au marquis pour réclamer son neveu: sa lettre fut laissée sans

réponse.

A son retour dans ce palais formidable, bâti par le plus belliqueux de

ses ancêtres, Fabrice ne savait rien au monde que faire l’exercice et

monter Ă  cheval. Souvent le comte Pietranera, aussi fou de cet enfant

que sa femme, le faisait monter Ă  cheval, et le menait avec lui Ă  la

parade.

En arrivant au château de Grianta, Fabrice, les yeux encore bien

rouges des larmes répandues en quittant les beaux salons de sa tante,

ne trouva que les caresses passionnées de sa mère et de ses sœurs. Le

marquis était enfermé dans son cabinet avec son fils aîné, le marchesino

Ascanio. Ils y fabriquaient des lettres chiffrées qui avaient l’honneur

d’être envoyées à Vienne; le père et le fils ne paraissaient qu’aux

heures des repas. Le marquis répétait avec affectation qu’il apprenait à

son successeur naturel Ă  tenir, en partie double, le compte des produits

de chacune de ses terres. Dans le fait, le marquis était trop jaloux de

son pouvoir pour parler de ces choses-là à un fils, héritier nécessaire

de toutes ces terres substituées. Il l’employait à chiffrer des dépêches

de quinze ou vingt pages que deux ou trois fois la semaine il faisait

passer en Suisse, d’où on les acheminait à Vienne. Le marquis prétendait

faire connaître à ses souverains légitimes l’état intérieur du royaume

d’Italie qu’il ne connaissait pas lui-même, et toutefois ses lettres

avaient beaucoup de succès; voici comment. Le marquis faisait compter

sur la grande route, par quelque agent sûr, le nombre des soldats de tel

régiment français ou italien qui changeait de garnison, et, en rendant

compte du fait à la cour de Vienne, il avait soin de diminuer d’un grand

quart le nombre des soldats présents. Ces lettres, d’ailleurs ridicules,

avaient le mérite d’en démentir d’autres plus véridiques, et elles

plaisaient. Aussi, peu de temps avant l’arrivée de Fabrice au château,

le marquis avait-il reçu la plaque d’un ordre renommé: c’était la

cinquième qui ornait son habit de chambellan. A la vérité, il avait le

chagrin de ne pas oser arborer cet habit hors de son cabinet; mais il ne

se permettait jamais de dicter une dépêche sans avoir revêtu le costume

brodé, garni de tous ses ordres. Il eût cru manquer de respect d’en agir

autrement.

La marquise fut émerveillée des grâces de son fils. Mais elle avait

conservé l’habitude d’écrire deux ou trois fois par an au général comte

d’A***; c’était le nom actuel du lieutenant Robert. La marquise avait

horreur de mentir aux gens qu’elle aimait; elle interrogea son fils et

fut épouvantée de son ignorance.

«S’il me semble peu instruit, se disait-elle, à moi qui ne sais rien,

Robert, qui est si savant, trouverait son éducation absolument manquée;

or maintenant il faut du mérite.» Une autre particularité qui l’étonna

presque autant, c’est que Fabrice avait pris au sérieux toutes les

choses religieuses qu’on lui avait enseignées chez les jésuites. Quoique

fort pieuse elle-même, le fanatisme de cet enfant la fit frémir. «Si

le marquis a l’esprit de deviner ce moyen d’influence, il va m’enlever

l’amour de mon fils.» Elle pleura beaucoup, et sa passion pour Fabrice

s’en augmenta.

La vie de ce château, peuplé de trente ou quarante domestiques, était

fort triste; aussi Fabrice passait-il toutes ses journées à la chasse

ou à courir le lac sur une barque. Bientôt il fut étroitement lié avec

les cochers et les hommes des écuries; tous étaient partisans fous des

Français et se moquaient ouvertement des valets de chambre dévots,

attachés à la personne du marquis ou à celle de son fils aîné. Le grand

sujet de plaisanterie contre ces personnages graves, c’est qu’ils

portaient de la poudre à l’instar de leurs maîtres.

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